Je ne suis pas un mouton

chaussures

Le monde marche sur la tête.

Janvier 2014 : nous sommes dimanche, il est 14h, je reviens du marché. Je suis furieuse. Je suis depuis quelques mois en train de réaliser dans quel monde on vit. Ça a commencé par le traitement que l’on fait subir aux animaux sans même y penser, j’ai besoin d’arrêter de consommer ce qui provient d’eux pour être sereine.

Je suis depuis quelques semaines en train de tourner en rond à cause d’une histoire de chaussures. J’ai besoin d’une paire de chaussures fermées pour la mi saison, que je puisse garder le plus longtemps possible. Je veux éviter d’acheter du cuir. Aujourd’hui sur le marché, j’ai compté 5 stands de chaussures Made in China (ou Pakistan, peu importe) qui vendaient des chaussures jetables. J’entend par là des chaussures faites à l’autre bout du monde, par des gens sous payés, par des enfants, que nous allons porter une saison et qui vont partir en lambeaux. La plupart des pièces sont collées et cousues à la va vite avec des matières premières de mauvaises qualité. 10€ la paire de bottes, des gens qui se bousculent pour trouver leur taille. Si elles arrivent à 10€ entre nos mains, à combien le vendeur du marché les a t-il achetées? Combien d’intermédiaires y a t il eu? Combien coûte le transport? Combien de centimes sont finalement arrivés dans la poche de la personne qui les a fabriquées?
Je regarde les modèles, par curiosité, et c’est en voyant une paire de baskets que je réalise que moi aussi, il y a 3 ans, j’ai acheté dans un magasin “chinois” deux paires de baskets similaires à celles du marché. J’essaye de prendre du recul et de me souvenir pourquoi je les avais achetées. Le prix : quoi de mieux que de dépenser peu, afin de pouvoir racheter un nouveau modèle l’année d’après, toujours à bas prix?!
Ces deux paires de baskets, je les ai usées. trois ans que je les met l’été et l’automne, et qui ont besoin d’être remplacées. Mais je les use encore un peu, parce que je ne sais pas quoi acheter à la place. Je suis si on peut dire coincée par mon sursaut de conscience.

février 2014 : je viens de réaliser que je suis en train de tricoter de la laine, il en faut du temps pour que ça monte au cerveau, moi qui ne voulais pas avoir affaire aux animaux, c’est raté ! Encore un point qui va me faire cogiter pendant des moiss…

Avril 2014 : aujourd’hui au boulot je suis tombée sur une vidéo effrayante. Je voulais voir comment était réalisé un jean, et ai vu les conditions de travail à la chaîne, dans une usine qui utilise une machine pour améliorer leur rendement. Ça fait un choc. Le bruit, la vitesse d’exécution, la tâche répétitive, je me rend compte qu’ils doivent être payés à la pièce et que pour cumuler les centimes, ces personnes ne vont pas aux toilettes, travaillent 7 jours sur 7 pour nous habiller. Elle date et est toute floue, mais c’est à voir : ici et ici. Et il y a bien pire ailleurs…

 Juillet 2014 : nous sommes samedi après-midi, je reviens d’une virée à Paris avec mon chéri. On sort du RER pour rentrer chez nous. Une nouvelle affiche nous attend toute pimpante lorsque l’on passe devant un abribus. H&M fait une campagne de pub pour sa nouvelle collection d’automne. 29€ Le manteau. Même pas honte.

Depuis l’incident en début d’année au Bangladesh, on sait que les grandes marques font faire leurs vêtements dans des sweatshops. C’est dit. Ça passe à la télé, on en parle dans les journaux. Mais comme on retrouve des manteaux à vendre pour 89€, 149€ pour certains, on se dit que finalement, non, les gens là bas doivent vivre dans de bonnes conditions. On doit pas avoir besoin de grand chose là bas, on doit bien vivre avec quelques dizaines de dollars par mois. Là, H&M crie haut et fort que non seulement ils exploitent bien des gens, mais qu’en plus de ça, il ne sert plus à rien de cacher cet esclavage. A croire qu’il en sont fiers, ça fait partie de leur stratégie marketing. Autant baisser les prix pour de vrai, les gens achèteront encore plus !

honte

Septembre 2014 : Je porte depuis 4 ans un perfecto en cuir noir que j’ai récupéré, il était comme neuf. C’est une veste Zara que je n’aurais jamais acheté en magasin, du genre à être accroché au ceintre avec un bip, à 200€. À force de l’accrocher à un porte manteau trop pointu, tout le dos s’est amoché, je pense à la réparer plutôt que d’en racheter une autre, ce sera toujours ça de gagné. Je reviens d’un week end à Bruxelles chez Saki où j’ai trouvé une veste en cuir à 2,5€. C’est peut être ça la solution, acheter des fripes pour réparer mes fringues usées? Je vais partir à la recherche d’un bout de cuir noir de seconde main pour coudre une pièce au dos de ma veste.

Septembre 2014 : Je n’ai toujours pas trouvé de chaussures. Ça commence un peu à me gaver, j’ai l’impression d’être schizophrène. “Il faut que j’achète des chaussures en cuir super solides pour que je les garde 10 ans!” . “N’exploite plus les animaux qui sont des êtres sensibles, n’achète pas du cuir!”. Je suis tombée sur la marque végétarien shoes, il faut que je fouine un peu pour voir quelle matière ils utilisent, finalement je vais peut être trouver mes chaussures en 2014?

Octobre 2014 : La semaine dernière, on a publié sur Thread&Needles un article à prendre au 3ème degré, une caricature de la blogueuse mouton. 108 commentaires, le truc qui arrive une fois par an. (je vous invite a le lire d’ailleurs ici) Les gens s’emballent, repostent l’article sur leur blog, sur IG, sur Facebook. (Jusque là tout va bien, ça fait du bien de voir que certaines prennent le temps d’écrire un mot, peu importe si c’est pour être médisant ou pour remercier cet article léger et bon enfant. Bref, il y a du monde et ça parle).

Il y a quelques jours : Je tombe sur une conversation très intéressante sur les sweatshops et je me désole de voir que peu de gens prennent la parole. Personne ne se sent concerné? Qui n’a pas de manteau d’hiver à moins de 100€ dans sa garde robe? De débardeur à 10€? Là d’un coup, tout le monde se tait. Mais parlez mon sang! Indignez vous! Arrêtez d’être un mouton de la consommation!
Parce qu’être traitée de mouton de la blogosphère, ça fait plaisir à l’égo. “Oh mais non, je ne fais pas comme tout le monde. Oh ben en fait si, mais j’en suis fière ! “. Un peu comme quand on traite une fille de geekette, qui nie l’être, et qui prend plaisir à ce qu’on la traite de la sorte.
Par contre quand il s’agit de discuter des problèmes de fond…
(Je sens que je vais me mettre des gens à dos là, je ne vise personne hein… Et si je passe pour une connasse, et bien tant pis, je dis ce que je veux ici, après tout).

Aujourd’hui : je pars la semaine prochaine à New York en tant qu’acompagnatrice, j’y vais avec les coureurs français qui participent au marathon. J’ai reçu un très beau manteau turquoise, qui va aller pile poil avec mes baskets violet et turquoise que j’avais acheté pour partir en voyage à Bali il y a 3 ans. Je n’ai qu’à les mettre à la machine. Ma maman, qui part avec moi, m’envoie une photo d’une paire de baskets Nike flambant neuf, noires et turquoise, qui iraient à merveille avec ma nouvelle veste de travail. Ce n’est pas facile de refuser un cadeau, d’expliquer que je n’en ai pas besoin. Que mon histoire de chaussures dure depuis des mois et que je ne veux pas foutre en l’air des mois de réflexions. C’est bien beau d’avoir des principes, encore faut il les appliquer. Elle a fini par comprendre que ça ne servait à rien d’insister.

Je voudrais dire pardon.
Pardon à toutes les personnes qui sont à ce moment même exploitées par l’industrie de textile (ou autre d’ailleurs), ou qui ont été sous payées suite à mes achats compulsifs et irréfléchis dans les grands magasins que je ne citerai pas.
Loin de moi l’idée de vouloir faire culpabiliser celles et ceux qui participent à cette exploitation, puisque moi aussi, depuis ma plus tendre enfance, j’ai été formatée pour être une bonne consommatrice. Ne pas poser de question. Acheter puis jeter, puis acheter de nouveau.
Alors je porte fièrement mes fringues de la honte, je vais assumer ma connerie, et au moins faire un tant soir peu honneur à ces gens qui s’usent à la tâche. Je vais recoudre et recoller mes baskets, tant pis si ma maman râle quand elle me voit avec ou que mes collègues me font remarquer que mes chaussures ne tiennent plus la route. Elles ne seront pas jetables.

J’avais l’excuse d’être ignorante, on ne m’y reprendra plus.